MALI : Le destin des jeunes migrants
Venus du Mali ou de Libye, des milliers de mineurs arrivent seuls, sans leur famille, sur le territoire français. Avec de nombreux traumatismes, mais aussi une forte capacité de résilience.
« Je voudrais être mannequin, mais je ne peux plus, j’ai trop de cicatrices. » « Mon copain, lui, s’est noyé pendant la traversée. » Voilà les phrases qui sortent de la bouche d’enfants migrants. Venant seuls d’Afghanistan, de Syrie ou d’Érythrée, parfois âgés de 8 ans seulement, ils étaient 15 000 à arriver en France l’an dernier, recueillis par l’Aide sociale à l’enfance. C’est 85 % de plus qu’en 2016. En Europe, un réfugié sur trois a aujourd’hui moins de 18 ans, souligne un rapport de l’association Trajectoires pour l’Unicef. Pour eux, le défi est triple : il faut composer avec la violence du départ, le traumatisme de l’exil, et la construction de soi, loin des siens.
Une fuite mortifère
Plusieurs études récentes permettent de mieux comprendre leur vécu psychique. La première enquête, parue dès 2016 dans la revue d’ethnopsychiatrie L’Autre, met en lumière les traumatismes qui prennent racine avant la migration, dans le pays d’origine. Mariages forcés, guerres, discriminations sont autant d’expériences brutales partagées par la majorité des mineurs isolés qui les poussent à partir. Gracia, 17 ans a par exemple fui le Congo avec son petit frère pour « échapper au bûcher », raconte celle qui l’a accueillie à son arrivée à Lyon, à l’association France terre d’asile. Accusés d’être sorciers, ils ont subi plusieurs séances d’exorcisme. Mais c’est surtout « la rupture inéluctable des liens familiaux » qui marque durablement les jeunes et perturbe parfois leur développement. Pour eux, le départ s’apparente à « un deuil », notent les psychologues. 11 % d’entre eux auraient des pensées suicidaires. « Symptômes dépressifs, sentiment de vide, ralentissement, absence de plaisir, non-participation aux activités collectives, perte d’appétit… » sont autant de troubles occasionnés par « l’abandon de leurs figures d’attachement », confirme la pédopsychologue Marine Ghazaryan, interrogée lors d’une conférence du Centre de victimologie des mineurs sur le sujet. D’autant qu’aucun rituel, et souvent aucun adulte, n’accompagne cet adieu.
Vient ensuite la route. Plus petits, plus faibles, et plus lents que les adultes, les enfants sont nombreux à être abusés ou abandonnés au cours du trajet, relatent de leur côté Evangéline Masson-Diez, spécialiste des migrations, Alexandre Le Clève, juriste, et le sociologue Olivier Peyroux, dans un rapport de Trajectoires. Les mineurs assistent parfois à la mort de proches et découvrent « le sentiment de mort imminente ». Entre les réveils aux aurores pour passer les frontières, les conditions de vie déplorables et les cauchemars, ils développent des problèmes de santé. « Le sommeil est le premier affecté, entraînant des désordres physiologiques dangereux. »
Sans avenir fixe
À l’arrivée, « ne rien avoir à faire, c’est le pire », relatent de nombreux jeunes aux éducateurs et bénévoles qui les accueillent. Confrontés à la lenteur de procédures inconnues, ils sont contraints à l’oisiveté. Et souvent catastrophés de ne pas pouvoir travailler, contrairement à ce qu’ils escomptent, comme le note M. Ghazaryan. « Quand ils comprennent le temps qu’il faut avant de gagner de l’argent et pouvoir se débrouiller, c’est dramatique », nous confie la jeune militante qui a accueilli Gracia à Lyon. Ce temps d’attente et de passivité est « vécu comme humiliant », car il accentue la position de « dominé », précise l’anthropologue Michel Agier dans son ouvrage La Jungle de Calais (2018). Contrairement aux adultes qui sont rapidement fixés sur leur sort, souligne la revue L’Autre, « une épée de Damoclès pèse sur ces jeunes et les préoccupe au quotidien ».
D’autant qu’ils font face à un choc culturel. Plongés dans un univers inconnu, les jeunes migrants « voient leurs habitudes et leurs convictions entièrement remises en question », explique M. Ghazaryan. En résultent des « attaques de panique et des décharges d’agressivité » occasionnelles. Chez les jeunes garçons, cela donne « des bagarres ». Chez les jeunes filles, « c’est plutôt une violence tournée vers soi, avec des pratiques de scarification ». Extérioriser ce chagrin est d’autant plus complexe lorsque, « pour mériter sa place en foyer, il faut tout raconter devant nous », déplore une éducatrice, et ce « en moins de deux heures ».
Trois ans après le début de la crise migratoire, psychologues et anthropologues commencent à mieux connaître les parcours des enfants migrants, et font part de notes d’optimisme. « Responsables, volontaires, positifs » sont les qualités les plus citées pour décrire la résilience dont ils font preuve, lorsqu’ils sont accueillis et suivis. « En pleine croissance, explique M. Gazaryan, on a des ressources et plus de capacités à gérer le stress aigu et les traumatismes car le cerveau est plus plastique, plus flexible. » Passées les difficiles étapes, « si le jeune arrive à trouver un équilibre psychique entre ses deux mondes, il peut se construire et se reconstruire avec succès. La situation migratoire peut même être un stimulant », une richesse source « d’épanouissement personnel ». La jeune Grazia, elle, s’en sort avec brio. Aujourd’hui, elle est employée dans un pressing et son chef l’a nommée « employée modèle ». La jeunesse peut être promesse de belles réussites.
51 %
C’est la part des mineurs demandeurs d’asile en Europe en provenance d’Afghanistan. D’après les associations, ce sont eux qui subissent le plus de violences. Celle des talibans, qui détruisent le pays depuis 2001, et celle du bacha bazi, une coutume qui transforme de jeunes garçons en esclaves sexuels pour hommes riches.
Centre de victimologie des mineurs, colloque « Mineur étranger isolé, entre fracture et espoir », 2018.
Trajectoires, « Ni sains, ni saufs », enquête sur les enfants non accompagnés dans le Nord de la France, juin 2016.
Laure Woestelandt, Rahmethnissah Radjack, Fatima Touhami et Marie Rose Moro, « L’incertitude menaçante qui pèse sur les mineurs isolés étrangers : conséquences psychologiques », L’Autre, n° 17, 2016/1.
Par Alizée Vincent