La France est loin d’être « envahie », même si l’immigration progresse
Analyse. En ces débuts de campagne présidentielle, les prises de parole des candidats à droite et à l’extrême droite donnent le sentiment d’un pays ouvert aux quatre vents, subissant des flux migratoires sans aucune sorte de pouvoir à leur égard. Ainsi, Valérie Pécresse veut « stopper l’immigration incontrôlée » et estime qu’« il y a trop d’immigrés en France » ; Michel Barnier défend l’idée d’un « moratoire », quand Xavier Bertrand veut « que nous reprenions en main notre politique migratoire » et que Marine Le Pen entend soumettre aux Français un « plan complet de maîtrise de l’immigration ».
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La France est-elle à ce point submergée ? On compte aujourd’hui 6,8 millions d’immigrés pour 67,3 millions d’habitants, soit 10,2 % de la population (10,5 % à 12 % en intégrant les 300 000 à 600 000 illégaux), contre 7,4 % en 1975 et 5 % en 1946. Ces immigrés sont, selon la définition de l’l’Institut national de la statistique et des études économiques, des personnes nées étrangères à l’étranger, ce qui veut dire que, parmi elles, se trouvent des personnes devenues françaises (36 %). Pour faciliter les comparaisons internationales, on préfère souvent retenir le nombre de résidents en France nés à l’étranger. En 2020, ils représentent 12,7 % de la population.
Que peut-on faire dire à ces chiffres ? Dans son ouvrage Parlons immigration en 30 questions (La Documentation française, 110 pages, 5,90 euros), François Héran montre que ce taux est bien inférieur aux pays du Golfe, où il atteint 70 % mais, a contrario, bien supérieur à celui des « géants démographiques » que sont la Chine, l’Inde ou le Brésil, où il n’atteint pas 1 %. « Il est impossible d’en déduire une proportion optimale d’immigrés, écrit-il. Ce concept n’est pas scientifique mais politique. »
Recul de la fécondité
Cependant, on peut souligner que la part d’immigrés en France est inférieure à la moyenne des pays de l’OCDE (13,6 %), et de pays comme l’Espagne (13,3 %), les Pays-Bas (13,5 %), le Royaume-Uni (13,7 %), l’Allemagne (16,2 %), la Belgique (17,3 %) ou encore le Canada (20,3 %). Quantitativement, la France se rapproche plutôt de la Lettonie ou de l’Italie. « Il y a une illusion de l’importance de l’immigration, estime Jean-Christophe Dumont, qui dirige la division des migrations internationales à l’OCDE. Elle a augmenté récemment sous l’impulsion des crises humanitaires, de l’immigration familiale et de travail, mais les effectifs sont le résultat des flux des décennies passées, et l’immigration a été très réduite des années 1980 aux années 2010. »
« La France est, parmi les pays de l’OCDE, l’un des plus “malthusiens” sur le plan de l’immigration », souligne également Hillel Rapoport, professeur à l’Ecole d’économie de Paris, dans Repenser l’immigration en France. Un point de vue économique (Rue d’Ulm, 2018).
La France ne serait donc pas cette grande terre d’immigration tant décrite et décriée ? Ainsi que le rappelle François Héran, notre pays est bien « le plus ancien pays d’immigration en Europe ». Du fait du recul de sa fécondité, des guerres et parce qu’elle avait besoin de main-d’œuvre, la France a fait venir des migrants dès le XIXe siècle, d’abord d’Europe, puis du Maghreb. Mais dans le contexte de crise économique des années 1970, les portes se sont fermées à l’immigration de travail.
Une note du collectif de chercheurs Désinfox-Migrations rappelle que, sur les deux dernières décennies, le pays s’est tenu à l’écart d’événements majeurs : l’élargissement de 2004 vers l’Europe orientale, qui a « déclenché d’importants mouvements au titre de la libre circulation » ; la crise économique de 2008, qui a diminué les besoins de main-d’œuvre et provoqué des départs de certains pays et, enfin, la « crise migratoire » de 2014, qui n’a affecté la demande d’asile en France que tardivement et dans une mesure moindre que, par exemple, son voisin allemand.
« Transformation profonde »
L’immigration reste, en France, dominée par des motifs familiaux. En 2019, ils ont ainsi justifié la délivrance de plus de 90 000 premiers titres de séjour à des étrangers non européens, soit près du tiers de l’ensemble. Il s’agit pour moitié de titres délivrés à des conjoints de Français.
L’essentiel des flux restants comprend les étudiants (90 000), les personnes migrant pour des motifs économiques (39 000) ou humanitaires (37 000, majoritairement des réfugiés). « Si l’on s’intéresse à l’immigration à caractère permanent, il faut retrancher à cet ensemble les travailleurs saisonniers et les étudiants et y ajouter les 78 400 Européens venus s’installer durablement en France, au premier titre desquels des Italiens, des Espagnols et des Britanniques, précise M. Dumont. On arrive à un total de 292 000 personnes en 2019, soit moins de 0,5 % de la population. » En deça, là encore, de la moyenne de l’Union européenne et de l’OCDE, qui s’élève à 0,8 %.
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La France est donc loin d’être envahie même si l’immigration progresse, sous l’effet de mariages mixtes de Français, de la mondialisation des études supérieures, de l’augmentation de l’immigration économique visant les profils très qualifiés ou de la demande d’asile. Des tendances sur lesquelles le politique n’a d’ailleurs que peu d’emprise. François Héran rappelle que « les sept lois votées en quinze ans n’ont guère infléchi les courbes », notamment parce que le droit d’asile et celui de vivre en famille sont protégés par notre Constitution.
« Tout cela vient contredire l’idée qu’on empêche tout le monde de venir, mais ce n’est pas ce que visent les discours politiques aujourd’hui, analyse Patrick Simon, chercheur à l’Institut national d’études démographiques. Il y a une transformation profonde de la population liée à une immigration ancienne, à laquelle on associe une population perçue comme immigrée, en particulier quand elle n’est pas d’origine européenne, qui est en fait constituée de descendants d’immigrés. » Si l’on additionne les immigrés et leurs enfants, ces deux catégories représentent un quart de la population. Mais on ne parle déjà plus d’immigration.