Immigration : des propositions pour « simplifier » et « ouvrir » le droit au séjour
Prenant le contre-pied de la politique en vigueur, un collège de onze experts prône une simplification du droit des étrangers et la régularisation des personnes aujourd’hui ni régularisables ni expulsables.
Par Julia Pascual Publié le 21 janvier 2020
Alors que le gouvernement cherche à enrayer l’augmentation du nombre de demandes d’asile, à durcir les critères de naturalisation ou à renforcer la lutte contre la fraude en matière de regroupement familial, un groupe d’experts sur l’immigration prend le contre-pied de la politique en vigueur.
Dans un rapport d’une centaine de pages adressé, mardi 21 janvier, au gouvernement et au président de la République, et obtenu par Le Monde, les auteurs issus de la haute administration, du monde de l’entreprise, syndical, associatif ou universitaire, préconisent une ouverture du droit des étrangers « afin qu’un plus grand nombre de personnes puissent relever dans des délais rapides d’un titre de séjour ».
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« Nous voulons tous sortir d’une frustration au regard de la pauvreté du débat et des politiques publiques depuis trente ans », souligne Pascal Brice, ancien directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et l’un des initiateurs du projet. « Tout est marqué par une volonté malthusienne de dissuasion mais rien n’est prévu pour sortir d’un système qui fabrique des sans-papiers ; ça ne fait qu’ajouter au désordre », poursuit-il.
Les auteurs du rapport – ils sont onze parmi lesquels figurent aussi le préfet honoraire et président de l’association d’hébergement Coallia, Jean-François Carenco ; l’ancien directeur général des étrangers en France (de 2012 à 2015) au ministère de l’intérieur, Luc Derepas ; ou encore l’historien Patrick Weil – partagent le constat d’une politique en « échec » qui, face à des flux constants, ne régularise pas suffisamment ni ne reconduit.
« Critères de séjour plus simples et plus réalistes »
Résultat : il y aurait au bas mot 300 000 sans-papiers en France. « On crée un limbe juridico-administratif, regrette Luc Derepas. Des gens sont là, travaillent, peuvent payer des impôts mais font l’objet d’obligations de quitter le territoire français. » « Longtemps, notre pays a privilégié des régularisations collectives et cycliques ayant pour vocation d’effacer les effets de ces dysfonctionnements, écrivent les auteurs. Il faut en sortir. »
Alors que le rythme des régularisations tourne autour de 30 000 délivrances de titres par an, le rapport préconise d’« apurer » la situation en régularisant davantage et notamment les personnes qui ne sont pas expulsables tels que les parents d’enfants nés en France et scolarisés, les conjoints d’étrangers en situation régulière, et tout salarié en contrat ou avec une promesse d’embauche. « Quel que soit leur nombre, elles ne repartiront pas », justifie Jean-François Carenco.
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A plus long terme, le collège d’experts propose de sortir la politique migratoire de la tutelle du ministère de l’intérieur pour la rattacher à un haut-commissariat auprès du premier ministre. Surtout, il appelle à définir « des critères de séjour plus simples et plus réalistes », explique Luc Derepas.
Le rapport suggère ainsi de remplacer la multitude de titres existants (douze cartes temporaires, quinze cartes pluriannuelles…), par cinq catégories. « On a un besoin de lisibilité », défend Olivier Gainon, l’un des coauteurs, chef d’entreprise et ancien directeur de cabinet de Pierre Gattaz au Medef.
« Chicanes administratives »
Dans la société nautique qu’il dirige, M. Gainon expérimente un besoin de main-d’œuvre étrangère pour occuper les « métiers difficiles à pourvoir » mais il a aussi été confronté aux méandres de l’administration lorsque l’un de ses salariés a voulu renouveler son titre de séjour. « On a galéré, ça a traîné, se souvient-il. Il a fallu qu’on s’inquiète auprès des pouvoirs publics. Ce qui est fatiguant, c’est l’absence de perspectives et de compréhension du système. »
« Arrêtons de forcer les gens à des chicanes administratives qu’on n’aurait jamais l’idée d’appliquer aux Français, insiste Luc Derepas. Cela crée des externalités négatives, qui vont des campements de rue au travail clandestin en passant par un phénomène de décohésion sociale qui créé un malaise pour tout le monde. »
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Le collège veut aussi instituer une durée minimale du titre de séjour à cinq ans – contre un an aujourd’hui – et le remplacement des titres pour dix ans par des titres permanents. L’administration aurait six mois pour examiner une demande.
Outre les catégories classiques d’immigration familiale, étudiante et professionnelle, le collège propose un nouveau titre de séjour, humanitaire, pour les personnes vulnérables victimes de violences ou de traumatismes mais ne relevant pas de l’asile.
Audace politique
Dans une perspective d’« équilibre », le rapport appelle à améliorer l’efficacité des reconduites pour les personnes ne relevant d’aucun titre. Aujourd’hui, seules 14 % des obligations de quitter le territoire français sont exécutées.
Tout en revenant à une durée de rétention administrative maximale de quarante-cinq jours (au lieu de quatre-vingt-dix jours depuis la loi Collomb de 2018), le rapport suggère notamment d’améliorer l’obtention des laissez-passer consulaires en renforçant la coopération avec les principaux pays d’origine. « Plus légitimes, car prises selon des critères transparents plus conformes à la situation des personnes, ces décisions seront de nature à rencontrer un plus grand consensus social », espèrent les auteurs. Aujourd’hui, près de 80 % des décisions négatives font l’objet de recours contentieux. « Ça restera une question difficile », concède toutefois Luc Derepas.
En dehors de la refonte de la politique migratoire qu’ils encouragent, et sur laquelle ils font preuve d’une réelle audace politique, les auteurs du rapport se sont aussi penchés sur la politique d’asile.
Outre des propositions classiques d’harmonisation européenne des conditions d’accueil et d’examen des demandes, ou de créations de « centres fermés » dans les ports méditerranéens, les auteurs ébauchent une « convention internationale pour la protection des déplacés environnementaux ». Ils recommandent enfin de « restreindre unilatéralement » l’application du règlement de Dublin pour permettre à des Etats d’examiner les demandes d’asile des personnes déjà enregistrées dans un autre pays de l’espace Schengen, et ainsi lutter contre l’errance des migrants sur le continent.
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Reste à voir l’accueil qui sera réservé à leurs travaux. « Il y a plus de maturité dans la société que le débat politique ne le laisse penser », veut croire Luc Derepas.
Julia Pascual – Le Monde